Les personnages de ce récit sont véridiques. Mais les noms ont été changés pour des raisons évidentes.
* * *
Malgré une fatigue incroyable, j’ai les yeux grands ouverts
qui fixent le plafond de ma chambre et je repasse
dans ma tête tous ces petits
moments de cette journée… C’est une charge émotive que j’ai du mal à évacuer.
- - Est-ce que tu dors?
Je m’attendais à recevoir un ronflement pour toute réponse.
- - Pas tout à fait…
- - J’arrive pas à dormir… Je sais… Il faut, mais j’arrête
pas de penser.
J’ai raconté Lili. Lili, a passé tout le mois de septembre à
me raconter comment c’était fantastique dans la classe de Mme Gendron. C’était
son enseignante de 4e année. Qu’elle s’ennuyait d’elle et donnerait
tout pour y retourner. J’ai jamais réagi à ça. Je souriais et l’encourageais à
aller l’embrasser à la récréation. Tranquillement, elle a pris sa place dans ma
classe. Depuis un mois, Lili a commencé à me demander si elle pouvait doubler.
Elle est très faible, mais c’est pas une question de capacité. Alors on la fait
pas doubler. Mais elle insistait. «Je veux rester ans votre classe Madame
Zuby!» Elle pourrait techniquement y revenir parce que je pourrais la reprendre
en 6e année. Mais je n’aiderais pas son anxiété. Elle n’apprendrait
pas à travailler avec d’autres adultes. Dès
le matin, elle pleurait pour un oui ou pour un non. Au moment de la dernière
cloche, elle s’est mise à sangloter intensément. Incapable de lâcher ma main.
Elle s’est accrochée à ma taille avec ses frêles bras. J’ai dû la prendre par
la main et aller la reconduire à la sortie de la cour…
-
J’avais l’impression de l’abandonner…
J’ai raconté Sabine. Sabine , c’est une fille en trouble de
comportement. J’ai assez d’expérience pour comprendre qu’il y a toujours une
profonde blessure derrière ses comportements erratiques. Toute l’année, on a
marché sur le fils du rasoir avec elle. Mais je sais qu’elle a aimé son année.
Mais depuis le matin, elle fait tout pour saboter notre fin. C’est typique des
enfants qui ne veulent pas se faire quitter. Ils abandonnent avant d’être
abandonné. Si non, c’est trop douloureux. En après-midi, j’ai envie de lui
tordre le cou. Toutes les deux, on se regarde en chiens de faïence. Je regarde
l’heure! C’est pas vrai qu’elle va tout gâcher! Mais finalement, il n’y aura
pas de sang. Je respire et on se rendra à 15h30 sans cries! Alors que j’allais
reconduire Lili à la porte de la cour, Gabou me tourne autour comme une mouche :
«Bye! Madame Zuby! Bye là!» Dès que je lâche la main de Lili, Gabou me saute
dessus et me tient par le cou si solidement que je crois que je vais manquer d’air!
Cette étreinte était un crie désespéré. «Ne m’abandonne pas! Ne me laisse pas
partir!» J’ai flatté quelques minutes ses longs cheveux en lui disant que tout
irait bien…
J’ai raconté Mia. Mia marchait sur mon ombre. Alors que
toute l’année, elle fuyait mon regard, ne s’adressait à moi que par
monosyllabes. C’était le plus beau sourire sud-américain que j’aie vu de toute
ma vie. J’ai souvent parlé avec sa maman de sa timidité maladive. Mais on a
décidé de ne pas la traumatiser. Elle m’a suivi partout jusqu’à ce que je la
prenne à bras le corps et que je la serre. J’ai senti son corps tendu s’abandonner.
Elle m’a embrassé sur la joue et est
partie sans se retourner.
Léa… C’est pas mon élève. Mais je lui enseignais l’ÉCR l’an
dernier et cette année. Quand je suis sortie de ma classe pour accompagner mes
élèves à la sortie. Elle est venue me faire un gros câlin. C’était le câlin le
plus sincère que j’avais reçu. De mon œil moins mouillé, j’ai vu son petit ami
caché son œil plus mouillé derrière son immense mèche. Son petit copain était
dans ma classe. Elle m’a promis qu’elle viendrait me voir. Je lui ai fait
promettre qu’elle traînerait son grand fouet d’amoureux me voir aussi! Ils ont
ri tous les deux.
- - Tu dors ein?
J’ai pas reçu de réponse… Il dormait… Je me retrouvais en
tête-à-tête avec le plafond. Et 15 petites frimousses qui me regardaient dans
le noir de ma chambre…
J’ai quitté l’école de reculons. C’est toujours comme ça… J’ai
discuté un peu avec mon collègue. Puis je monte en voiture. Je me suis arrêté à
un stop et j’ai entendu «Madame Zuby! Madame Zuby!» Quelques petites têtes
sautillantes sont apparues dans mon rétroviseur… Moi aussi je vous aime…
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