Je t'attends...

Te souviens-tu? C’était au début de notre carrière. Le dimanche après-midi… Généralement, je déménageais mon bordel chez toi. On libérait ta table de salle à manger et on se préparait un thé. La boisson infusait dans ta théière rayée que tu avais rapporté d’Angleterre, pendant que, pleines d’espoir et de bonne volonté, on faisait notre plan de match.

-       Je vais préparer une évaluation en mathématiques.
-       Moi, je vais essayer de planifier ma grammaire pour les prochains jours. Et si j’ai le temps, je vais leur « créer » un exercice!

Bazwelle qu’on avait du temps à perdre! Mais dans tous ceux que j’ai jalousement préservé de nos 20 dernières année (presque), c’est ceux-là que je paierais cher pour revivre.

Je me revois lever les yeux régulièrement de mes copies d’examen pour surveiller ce que tu faisais :
-       Ah! Tu utilises ce matériel là toi ?
-       Ouains… Pas très réforme, je sais… Mais je l’utilise seulement comme guide pour les savoirs essentiels.  
Misère qu’on se prenait au sérieux. Et une chance… C’était là qu’on refaisait le monde. Qu’on appliquait l’insondable théorie, comment appliquer ce truc qui, en apparence semble si logique à la vraie réalité dans notre classe? On avait plus ou moins 60 crédits en poche et 4 stages et nous pouvions affronter le monde sans sourciller ! Ouain, on le croyait dur comme fer ein?

Puis, toutes les deux, nous saisissions notre petite tasse de thé entre nos doigts en même temps. C’était le signale de la petite pause pour jaser. Même si ça faisait juste 15 minutes qu’on travaillait. On jasait de tout. De l’amitié, de nos contrats, de nos chums…

Pendant qu’on jasait comme ça, savais-tu qu’on se rendrait là ? Avais-tu l’impressions que le temps qui a filé comme ça nous amènerait-là ?

Puis, nous reprenions notre travail. Nos deux têtes penchées vers l’avant. Essayant d’être les plus sérieuses du monde. On allait y arriver. Puis l’effet du thé se faisait sentir. Nous nous levions à tour de rôle pour visiter ta salle de bain minuscule. À chaque fois que l’une de nous se levait, nous remettions de plus en plus de temps à nous remettre au travail, commentant les notes pourries de nos élèves, notre patron qui n’y comprenait juste rien.

Finalement, quand tu ne m’invitais pas à souper, on finissait quand même par ouvrir une bouteille de vin, j’appelais mon chum pour lui dire de venir nous rejoindre ou que je ne rentrerais pas souper. Pas tout le temps. Mais souvent. C’est parce qu’il fallait se coucher tôt. Le lendemain reprenait la vie. Et on croyait qu’on était fatiguée. On CROYAIT qu’il n’était pas possible d’être aussi fatiguée. On avait la toute petite peur d’être fatiguée comme ça jusqu’à la fin de nos jours.  

Après, assez vite, on a eu nos premiers enfants. Nos séances de correction se sont transformées un peu. On buvait encore du thé, mais on avait plus besoin de prétextes pour se réunir le dimanche après-midi. Quoi que j’utilisais ma peur de te perdre, un jour, de vu pour laisser mon bébé à son papa pour venir te raconter, à peine quelques jours après la naissance de ma plus vieille, qu’il y avait ma vie avant et celle d’après….

Puis, tu as quitté. Puis on n’a jamais plus fait ça. On a bien essayé le Skype d’après-midi… Mais ça n’a rien à voir avec nos dimanches après-midi sur ta table à manger à boire du thé dans ta théière que tu as rapporté d’Angleterre.


Depuis que je suis déménagée ici, je fantasme sur le fait d’aller corriger quelque part, dans un café. J’apporte enfin mon bordel sur une toute petite table. Je me suis prise un café au lait et je t’attends…

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