Récits (auto) fictifs

L'homme au serpent

c’est d’abord sa voix qui la ramena à la surface. Elle essayait de faire de l’ordre dans les différentes tâches qu’elle avait à l’agenda demain. Du même souffle, elle essayait d’échapper au discours décousu d’une vieille dame qui lui racontait pour la 16 fois que la nourriture était immangeable ici et qu’elle ne reviendrait plus et …
-     Un numéro 4 au bœuf pour une personne!
Ses genoux étaient devenus mous d’un coup sans prévenir. Elle attendait son repas dans un «Bouiboui» plein à craquer à l’heure où les bureaux se vidaient.
Elle se tourna et fixa l’homme qui venait de commander à la caisse. La déception de ne pas le reconnaître instantanément l’accabla. Il lui ressemblait pourtant, mais son œil ne pouvait en avoir la certitude. Il y avait quelque chose de changé.
Appuyé nonchalamment contre le comptoir, il finit par se tourner vers elle. Elle aurait voulu qu’il parle encore, juste pour la rassurer avant de qu’elle lui lance «Est-ce qu’on se connaît?» Elle ne voulait pas se faire dire «Je ne crois pas». Elle voulait qu’il la reconnaisse sans hésitation.
Son grand corps était recouvert de tatouage. Il n’en avait pas autant à l’époque. Le seul dont elle se souvenait, c’était celui qu’il avait sous la fesse. Mais il n’avait certainement pas ce grand serpent qui lui montait dans le cou, ni ce dragon qui lui couvrait l’épaule et la poitrine.
Elle l’observait, le détaillait, cherchait LE détail qui ferait que sans hésitation, elle pourrait lui lancer un sourire. Mais rien… Rien ne la frappait. Il tira son téléphone de sa poche et le porta à son oreille. Elle espéra soutirer à cette conversation de monosyllabes un autre indice, en vain. En mettant fin à celle-ci, il se tourna vers elle et fronça le sourcil en croisant son regard. Puis, une petite tension dans le coin des lèvres qui aurait pu passer pour un sourire. Mais elle ne le vit pas puisqu’elle regardait à travers la vitrine.
Une grosse voiture noire qui ne devait pas en être à sa première peinture à côté de sa petite Beatle neuve. D’énormes flammes sur les portes latérales étaient joliment disposées. Si c’était lui, c’était certainement sa voiture. Elle lui ressemblait.
L’homme, derrière le comptoir, s’impatienta dans une langue inconnue. Elle demanda s’il avait mis des arachides? Dans cette même impatience, il coinça un  sac d’arachide dans le rabat de ma boîte. L’homme au serpent demanda «la même chose que madame» en lançant un clin d’œil à sa voisine.
Ils quittèrent le restaurant d’un même mouvement. Il lui teint la porte, elle coinça un de ses talons dans le seuil de la porte. D’un coup de poignet habile, il libéra la délicate chaussure et plaça de pied de sa propriétaire dedans.

Il la suivit. Elle ouvrit la portière de sa voiture sans se retourner. Assise au volant, elle jeta un regard vers la vieille relique noire. Une femme aux cheveux délavés reculait dans le stationnement. Stupéfaite par l’imposture, elle embraya la marche arrière. En vérifiant ses distances, elle croisa le regard de l’homme au serpent qui lui lançait un sourire assis au volant de sa Golf…



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