Quand j’ai allumé la lumière, j’ai fait la rencontre de mon
visage dans le miroir. Le reflet de mon visage après 48h00 d’abus d’alcool et
de manque de sommeil. Le teint jauni et l’œil enflé.
Au chalet, la salle de toilette est au centre de tout, barricadé
de murs de carton. Même la porte fermé, on entend tout. Je me lavais le visage
et j’entendais la fin de la conversation que j’avais quittée quelques minutes
plus tôt. Mais il était plus que temps. Temps de revenir à la réalité. Temps
que je revienne sur terre. C’est toujours trop difficile alors il n’y a pas de
bon moment. Il ne faut pas attendre la fin de mots chuchotés. Il faut juste se
lever et agir. Me brosser les dents et me reconstituer un visage, me crémer, me
maquiller, autant de geste qui prépare ma sortie dans le monde réel.
Le chalet, c’est chez moi. Pas mon chez moi pour vrai. Mais
après ma maison, c’est sans doute le lieu où je peux me sentir comme si. C’est
un toit avec quatre murs, habité par des mulots qui nous laissent parfois nous
réunir. La plupart du temps, on ne dérange pas trop leur quotidien puisqu’on
érige notre quartier général sur le quai sur le bord du lac. Ils sont parfois
bousculés de nos rires qui entrent et sortent de la cuisine en claquant les
portes.
Parfois, nos discussions piquent la curiosité du huard qui
vient, l’air de rien, nous hululer quelques répliques. Quand ce n’est pas la
marte qui file sous le quai alors que nous nous trémoussons au bout, «Allez! On
saute! Ça va nous faire du bien!»
Une fois à l’eau, nos têtes s’éloignent doucement et les
secrets reprennent de plus belle. Puis, grelottantes, nous finissons par nous
extirper de l’eau. Sur la petite table bancale du quartier général se succèdent
les bouteilles. À une époque pas si lointaine, les bouteilles de bière s’entrechoquaient.
Maintenant, on boit vu vin. Ça fait plus sérieux. Ça rend nos problèmes de mesdames
de presque 40 ans plus importants! Et Pop! Le champagne pour fêter ceci et pour
souligner cela. «Peux-tu arrêter ton histoire 2 minutes? Je dois faire pipi!»
Mais l’histoire ne reviendra pas… Ce n’est pas grave. C’est comme ça et c’est
très bien. Puis, on pose une question. Nous nous penchons toutes sur la table
pour trouver le paquet de cigarettes communautaire. Comme 17 ans auparavant
quand une d’entre nous avait une histoire croustillante à raconter.
Je saute l’épisode des larmes, de la confidence honteuse, le
chalet gardera le secret à perpétuité, les petits mulots y veilleront comme une
légende… Comme nos rires qui font des ricochets sur la surface du lac.
Et j’applique délicatement un trait de crayon noir sur ma
paupière. Quand j’aurai terminé de mettre mon mascara, je devrai boucler mes
valises et dire au revoir au chalet jusqu’à la prochaine fois.
Commentaires