À l’heure où je hurlerai pour la dernière fois «Dodoooooo!»,
elle s’approchera de moi avec la brosse à cheveux et une petite poignée d’élastiques
et elle me dira : C’est l’heure de mes tresses.
J’oublie à quel point elle grandit et que ce n’est plus une
toute petite fille. Elle s’est faite menacer de la paire de ciseaux si elle n’entretenait
pas elle-même ses cheveux. Depuis, je n’ai rien à dire! Religieusement, elle
démêle ses cheveux et demande que je lui fasse des tresses.
Je lui ai raconté que c’était notre rituel à sa grand-mère
et moi à son âge. Je m’assoyais par terre devant le divan et elle démêlait mes
cheveux. Et après, elle les séchait avec une petite courbe vers l’intérieur.
Ma mère fait parti de la première vague de femmes qui ont
gardé leur nom de jeune fille après leur mariage. Toutes mes copines portaient
le même nom que leur mère, pas moi. La mienne travaillait. Genre beaucoup. J’ai
longtemps pensé qu’elle faisait ça parce que nous étions pauvres. J’ai compris
beaucoup plus tard qu’elle faisait ça parce qu’elle aimait ça.
J’ai jamais été capable d’imaginer ma mère aux fourneaux. C’est
plutôt une mère élégante qui partait au bureau tous les matins que je vois. Pis
ça ne me choc pas. J’ai jamais l’impression que j’ai été privée de quelque
chose. Elle ne faisait pas de biscuits pour notre retour de l’école, on n’avait
pas de dessert spécial pour notre anniversaire. Pourtant, c’était ma mère.
Ma mère réinventait un genre de mère qui existait peu. Elle
n’avait sans doute pas de modèle de mère comme elle puisque la sienne ne
travaillait pas.
Alors quand est venu le temps de terminer mon secondaire, je
me suis cherché un métier… Sans me poser de question. Et quand Gaëlle est venue
au monde, j’ai trouvé tellement déchirant de la laisser à une autre pour que j’aille
travailler, mais la question ne se posait pas. Je devais retourner travailler.
Et je l’ai dit sur tous les tons, je suis une bien meilleure mère quand je
travaille.
Arielle me fait souvent le reproche de ne pas être là aux
fêtes à l’école. Elle voudrait que je puisse les accompagner aux sorties et que
j’assiste aux spectacles de fin d’année. Elle voit des mères à ces événements.
Mais elle n’a pas remarqué que ce ne sont pas toujours les mêmes. Que comme
moi, ces mamans ne peuvent pas s’absenter du boulot à tous les spectacles de
flûte à bec. Elle oublie que j’étais là à celui de février dernier. Que j’étais
là à sa rentrée en maternelle, alors que je n’avais pas pu être à celle de sa sœur.
Ma mère venait rarement aux spectacles. Comme moi, elle
choisissait ceux qui étaient importants. Je lui en ai peut-être fait le
reproche… C’était comme de montrer au monde que ma mère m’aime et se soucie de
moi. Mais comme ma mère se sacrait bien de ce que pouvait penser le reste du
monde d’elle…
Gaëlle profite du moment que je suis coincée avec une brosse
à cheveux dans les mains et une poignée d’élastique entre les dents pour me
parler des trucs que je ne prends jamais le temps d’écouter. C’est son moment à
elle où elle a une mère!
Je ne sais pas pourquoi j’ai écrit tout ça. Je n’avais rien
à raconter en particulier, mais ces images me poursuivaient depuis quelques
jours. LE
geste maternel que j’ai comme souvenir. Il y a en a sans doute des milliers d’autres.
Mais rien d’aussi fort que ce moment où nous nous disions rien et qu’elle me
brossait les cheveux.
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