Le jour où...

Pour certains, c’est en janvier qu’on met les compteurs à zéro. On s’inscrit au gym, on arrête de fumer… Certains promettent d’arrêter de se ronger les ongles, d’autres de manger végétarien. Pour moi, la nouvelle année ne veut rien dire. Je ne prends pas de résolutions. On doit informer tout le monde avant un toast de ce qu’on a l’intention de faire et on est scruté pour voir si on tient le coup. Et en février, plus personne n’en parle.
Pour moi, c’est septembre qui est le moment de tous les possibles. Si je dois changer quelque chose, c’est au moment de retrouver ma classe que je fais un examen de conscience et que je fais l’inventaire de ce que je devrais changer. Je choisis l’élément qui est réalistement possible de changer. L’an dernier, j’ai fait entrer Elliptique dans ma vie et il y est encore, pour le meilleur et pour le pire. Habituellement, ce genre d’appareils sont mis en valeur dans le bas de Noël et prennent la poussière en juillet. Je vis toujours une idylle de premier ordre avec le mien et mes cuisses se bétonisent toujours depuis un an.
Et comme tout le monde, j’ai ma liste perpétuelle d’incontournables : Faire des lunchs plus sains, préparer tous mes repas de la semaine le week-end pour être moins stressée la semaine avec les enfants, vérifier plus méticuleusement les devoirs de mes enfants, me coucher plus tôt (ça, je ne le mets plus sur ma liste, ça sert à rien, j’y arrive pas)…
Et CHAQUE année, dans ma liste, il y a «être plus disciplinée pour gérer mon horaire» et «organiser mieux mon travail.»
* * *
Les vieux adages ont la couenne dure. Ma mère en avait un qu’elle chérissait particulièrement : «Si c’est le bordel dans ta maison, c’est le bordel dans ta tête!». Parfois, elle inversait la patente : «Si c’est le bordel dans ta tête, ça sera le bordel dans ta maison!» L’œuf ou la poule?
Je ne sais pas qui a fait son nid entre mes deux oreilles. Mais il prend toute la place. Je n’ai pas l’impression que ma tête est SI bordelique que ça, mais si j’en crois ma maison, j’ai une maladie mentale. Au bureau, j’essaie… J’ai l’orgueil!  Les élèves qui se risquent : «Je ne trouve plus mon cahier de grammaire!»
-        As-tu regardé dans ton sac? Dans ton bac? Dans celui de ton voisin?
Ils regardent, l’air perplexe mon bureau ou plutôt la montagne de paperasse qui me menace de s’écrouler.
-        Il est peut-être sur votre bureau?
Il ne l’est habituellement pas. Mais ce fatras est le prétexte parfait pour me remettre leur problème. En plus, qui suis-je pour prôner l’ordre et la méthode avec un fouillis pour exemple?
Chaque année, j’en ai au moins un qui se risque :
-        Je vous ai remis mon travail madame, j’en suis certain!
-        Mais je ne l’ai pas!
Il regarde mon bureau en me disant : «Vous l’avez peut-être perdu?» Et en fait, il ne l’a pas remis. Mais il utilise ma vulnérabilité pour me faire feeler cheap de l’accuser de ne pas avoir remis son travail.  
À la fin du stage d’un étudiant, j’ai honnêteté de lui demander si, en tant que maître-associé, je peux améliorer quelque chose pour ceux qui le suivront.
-        Eux… Votre bureau…
PAOW!!!!!!!
* * *
Cette année, je suis dans de bonnes dispositions. Tout change autour de moi. Mon nouveau patron fait virer le vent de bord. Pis je ne vous cacherai pas que je ne voudrais pas qu’elle ait cette opinion de moi là en partant. Elle va bien finir par découvrir que j’ai pas de mémoire, je ne suis pas organisée et ultra bordelique… Mais berçons-là d’illusions encore quelques temps.
Je suis méticuleuse, range les choses au fur et à mesure, bacs, classeurs, je suis la championne du bureau rangé! J’ai ressorti un petit calepin avec les petites cases, je fais ma liste religieusement tous les matins… Une chose à la fois, je note tout! C’est incroyable! Ai-je cette capacité en moi? Je sais toujours où je m’en vais, j’ai une longueur d’avance sur tout! Yé!!!!
Pis cette semaine arrive! Les trucs déboulent dans mon horaire sans me demander la permission. Je tente de les noter sur ma petite liste, mais tous les jours, je recopie la moitié de la liste de la veille parce que ça n’a pas été fait. J’ai pourtant dîné dans ma classe, je ne sors plus aux récréations. Mon bac à correction est sur le bord de faire une indigestion et je l’ignore intentionnellement… Je suis dans le jus, débordée, dès que je m’assois, j’essaie de prioriser… Difficile… À ce stade, presque tout devient urgent…

Et je regarde mon bureau… C’est définitivement le jour où j’ai perdu le contrôle… 

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