Le jour où je me suis mise à écrire ailleurs que dans un
journal intime, ce fût pour être lu. Et je n’ai pas fait ça autrement qu’en
publiant ça sur le web. Au grand jour! Un journal intime public mesdames et
messieurs! Et lu à grand tirage! J’en ai retiré une très grande satisfaction!
Une grande confiance en moi.
Mais depuis quelques semaines, j’écris AUSSI pour moi. Des
trucs qui ne seront jamais lu. J’entasse des milliards d’octets sur des clés
USB. J’écris 500 mots, quand je les aime un peu, je les travaille et
retravaille. J’en fais 5 ou 6 versions retravaillées. Et quand je suis
satisfaite, j’ouvre un nouveau fichier et j’attends que l’inspiration repasse.
* * *
Je lis La vérité sur l’affaire Harry Quebert. J’ai du temps
pour lire, alors j’avance vite ces temps-ci. Je ne veux pas spoiler personne,
mais à un moment de l’histoire, Harry en arrive à une conclusion : Les
affaires ne se sont pas passées comme il l’espérait. Comme il est écrivain, il
se dit que tout ce qu’il a à faire, c’est de réécrire l’histoire. Ne pas la
continuer comme elle est, mais de réécrire ce qu’elle aurait dû être…. Avoir le
pouvoir, du bout des doigts, de se faire Dieu et de réinventer la suite.
* * *
J’ai écrit 1500 mots presque d’un coup. Tout a coulé.
C’était un truc vrai… C’était pas de la fiction. Mais j’étais pas satisfaite.
Alors je l’ai retravaillé. J’ai au moins 5 ou 6 versions différentes. Quand
j’ai terminé la dernière version, j’étais toujours pas totalement satisfaite.
J’en suis venue à la conclusion que je ne pouvais plus rien pour ces 1500 mots.
Ils se voulaient une façon de cristalliser un moment précieux dans le temps, je
devais accepter que mon talent s’arrêtait avant d’être capable de rendre aussi
intensément un moment précis. Je me suis dit que je devrais limiter mes
réflexions qui ne sont pas de la fiction aux 500 mots de mon blog et de laisser
le reste à l'imaginaire. J’ai ouvert un autre fichier.
* * *
Maman est décédée en janvier. C’est donc notre premier Noël
sans elle. C’est là qu’on se rend compte que Noël, c’est pas juste 2 jours en
décembre. Cet été, j’y pensais déjà. Mon frère et moi allions nous faire notre
petit réveillon comme les 12 dernières années avec les enfants. On allait faire
comme si… Comme si elle était encore là. Comme si elle faisait encore partie de
notre vie. Ça me rassurait de le penser. Je ne voyais pas les choses autrement.
J’allais faire du Jell-o au blanc-mangé.
J’allais apporter la nappe de Noël chez lui. On allait bouffer comme des porcs,
ouvrir les cadeaux et se détacher le bouton du pantalon et finir ça en
disant : «Le monde c’est de la marde!»
Pis, PAKLOW! Ça ne sera pas ça! La terre a arrêté de
tourner. Une affaire s’est passé mettant fin à mes plans Noëliques… C’est
triste, mais c’était pas mon drame, j’aurais dû faire : Oooooooh! Pauvres
eux… Mais non! J’ai dit : Mais mon Noël? Mais MON Noël????
* * *
J’ai laissé l’autre fichier ouvert. J’ai regardé le nouveau
ouvert, mais je retournais sans cesse au premier. Je ne pouvais pas croire que
j’étais pas capable d’en faire quelque chose de plus vrai que le moment
d’inspiration. Je le lisais en aimant les souvenirs, mais pas ce que j’étais
capable de rendre. Je relisais sans cesse les 5 versions. Pis ce matin, avec
mon café Bayley’s pré Noël, je me suis dite : «Et si je changeais des
trucs? Si je faisais comme Harry Quebert et que... Si j’ajoutais des choses? Est-ce que ce que je trahirais le moment?
Est-ce que serais plus satisfaite?»
On parle d’écrire ici. On parle du lien
entre ce que j’ai vécu et ce que mon cerveau pense, interprète. Est-ce ce que
ça serait grave de faire ça? Le souvenir existerait toujours. Mais sur papier,
j’enjoliverais les choses… Est-ce possible? Non! Ça changerait pas les faits.
Mais les octets eux?
* * *
Noël ne sera jamais plus ce qu’il était! C’est un fait! Mais
est-ce que ça changerait quelque chose que je l’imagine comme je voudrais?
Est-ce que je briserais quelque chose si je le réinventais? Genre, je garde la
nappe, le jell-o blanc-mangé, mais que j’ajoute mon agneau au pruneau et un vin
liquoreux? Qu’on ouvre les cadeaux après le souper? Que je reçoive tout le
monde que je plie des petites serviettes de table? Que je décors à ma façon?
Est-ce que je peux?
Contrairement à mon texte, j’aime ce que j’avais pour Noël.
Mais ce que j’inventerai le sera tout autant. Il me ressemblera. Il y aura
encore un peu de maman. Mais surtout, il y aura ce que j’ajouterai pour
enjoliver les choses…
Pour Noël, je veux réinventer le reste de ma vie…
Commentaires