7h48, je
devrais être dans ma classe à faire mon menu du jour. Mais je suis au volant de
ma voiture au sortir du Tim Horton. En fait, ce matin, j’aurais dû marcher
jusqu’à l’école. Écouter de la musique stimulante, le pas léger à planifier les
derniers détails de ma journée. J’habite à 15 minutes de marche de l’école
BORDEL! À la place, j’essaie de repartir du coin de rue sur une plaque de glace
qui me retient. J’aurais dû trimbaler mon smootie dans mon sac d’école comme
tous les matins. Mais j’ai pas eu le temps de le préparer. Y’a rien qui marche
comme je voudrais ce matin et j’ai les nerfs comme ÇA!
Y’a rien eu
de spéciale. Les filles n’ont pas été plus difficiles qu’à l’habitude… Juste
normal épouvantable. Pas de verre de lait renversé sur les jeans fraichement
enfilés, pas de bleuets écrasés sous une chaussette… Juste Gaëlle et Arielle
qui se tiraillent devant le miroir de la salle de bain. Ça leur donne une bonne
raison pour sortir de la maison coiffées comme l’enfant sauvage! « Ma sœur
m’a pas laissé me coiffer! » J’ai juste hurlé 12 fois au lieu de 15 « QU’EST-CE
QUE TU VEUX MANGER? » J’ai eu beau essayer de le planifier la veille,
elles ne veulent plus manger ce qui est préparé. Alors à quoi bon?
Non! Rien
de bien différent qu’à l’habitude, rien qui aurait bouleversé le quotidien d’une
autre famille… sauf… sauf qu’hier, on n’a pas mangé à la maison. On n’est pas
rentré tard là! Juste après souper. Rien de catastrophique. Les enfants ne se
sont pas couchés plus tard, juste dans une excitation fébrile d’enfants qui ont
fêté l’anniversaire de leur sœur. Juste énervée d’avoir eu droit à un morceau
de gâteau au chocolat, alors que c’est habituellement un privilège de week-end.
Le couché ne s’est faite que dans un micro-chaos… RIEN d’épouvantable.
Ce matin, j’ai
fait les lunchs un peu en catastrophe et au moment de tout mettre dans la boite
à lunch, elles n’avaient pas été vidées… Ce n’est PAS GRAVE bordel… Mais v’la
tu pas que tout se bouscule dans ma tête. Zut! Je perds le fil de ma précieuse
routine! Pour que tout fonctionne, c’est une grande et belle chorégraphie toute
en nuance… Et là, la danseuse étoile brise sa pointe en plein solo! Elle va
arriver à la fin…
* * *
Je me tape
la tête sur le volant au feu rouge… Une fois, deux fois et JE HURLE! MERDE! J’ai
ENCORE oublié ce truc! Ça ne me rentre pas dans la tête… C’est plus fort que
moi. Je l’ai mis près de la porte avec mon sac d’école. Chéri, pour m’aider (j’apprends
à prévenir les gens autour de moi de la tempête électrique qui sévit dans ma
tête), a mis mon sac dans la voiture en partant. Juste pour pas que je l’oublie…
Il a cru que ce truc, c’était ENCORE une traînerie des enfants et n’y a pas
fait attention. C’est pas de sa faute… Encore moins de la mienne…
Je me fais
klaxonner. OUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII! Mes roues roulent dans le beurre sur une
plaque de glace.
* * *
Assise dans
le bureau sobre de la neuropsychologue, je raconte en détails tous les petits
trucs qui m’ont mis la puce à l’oreille pour ma grande. Elle (la psy) me fait des yeux comme ça! Elle
me dit que, habituellement, les parents rentrent ici en disant que la prof de
leur fils est folle… Qu’elle est juste pas patiente avec leur petit vers à
choux 24 carats… Mais que la mère finit par dire à son mari, la main posé sur
le genou « Elles peuvent pas toutes être folles depuis 4 ans Louis! »
« Oui! Mais j’étais comme ça quand j’étais petit moi… Pis je ne suis pas
mort! » Ben non, on en meurt pas! Une maudite chance!
Elle me
tend un questionnaire à remplir dans la salle d’attente. Elle a rayé des
grandes parties parce que j’ai déjà répondu sans le savoir. Dans cet immense
questionnaire, il y a une section « parents ». Une qui nous pose des
questions sur nous, le géniteur de ce diamant brut!
Je réponds.
Au fur et à mesure des questions, c’est comme un dessin 3D qui se dessine quand
on plisse les yeux. L’évidence pas si évidente que ça se détache du portrait d’ensemble.
À la fin de
l’évaluation de ma fille, je remonte dans le bureau pour le bilan préliminaire.
Ma fille n’écoute pas si attentivement que ça. On l’envoie rencontrer l’ergothérapeute
et pendant ce temps, je règle certaines choses. Pendant que je signe le chèque :
- Est-ce que vous faites des
évaluations aux adultes ici?
Elle me
sourit sans lever les yeux du questionnaire que je lui ai remis 2 minutes
avant.
- C’est pas courant, mais il arrive qu’on
en passe aux parents de nos patients.
Elle me
sort deux/trois brochures sur le sujet.
- Lisez ça attentivement! Je ne veux
pas entendre parler de vous évaluer avant 2-3 mois. C’est pas un cancer à
traiter. Pis y’a une question à laquelle les brochures ne répondront pas :
Ce que les autres pensent de vous et la souffrance que VOUS pouvez ressentir de
votre condition, c’est deux choses bien différentes.
Depuis, les
brochures sont sur mon bureau, même pas ouvertes. Je ne fais que penser à ce qu’elle
m’a dit : Le regard des autres VS ma propre souffrance…
* * *
J’en ai ma
claque de justifier ces oublies, ces factures non-payées, ces retards innocents,
ce bordel. Ça fait quelques années que j’utilise, à la blague, un déficit d’attention.
J’en ai ma claque que mes filles portent sur elles le regard de d’autres
adultes qui pensent que je suis une mère paresseuse ou inadéquate. Je ne suis
pas organisée, je ne fais pas d’efforts. C’est si simple! Une liste, ne pas
procrastiner, ranger au fur et à mesure… C’est si simple…
J’ai des
listes, des rappels à la tonne sur mon cellulaire. Tellement que je ne suis
plus capable de discriminer l’essentiel du banal. Alors on subdivise les listes
en urgent et important et important et urgent… J’en deviens perdue dans mes
propres listes…
Mon manque
de mémoire me fout la trouille! Terminer un film de 2h00 et ne pas comprendre
la fin parce qu’elle est en lien avec les 5 premières minutes du film dont je
ne me souviens même plus. Déposer un roman et le reprendre 1h00 plus tard et ne
pas arriver à comprendre où j’en suis parce que je ne me souviens plus de ce
que je lisais il y a une heure…
Je classe
au fur et à mesure et là on me reproche que je n’ai pas encore commencé ce truc…
Alors c’est mon système de classement qui n’est pas adéquat… Parce que s’il l’était,
ça m’aurait pris 30 secondes à classer. Sauf que moi, tout est plus long à
faire…Une autre affaire… Et ça s’empile et ça s’accumule… Je suis écoeurée…
Mais j’ai
des idées à la tonne! Genre pleins pleins pleins! J’ai appris à les garder pour
moi! Parce que avoir les idées et les mettre en action, pour moi, c’est deux
choses. « Tu n’avais pas dit que tu ferais ça? » Oui! Mais pas
capable de coordonner les trucs pour mettre en branle le projet. Alors je te
les donne ces idées. Prends-les! J’aime ça les idées. J’aime mon imagination, j’aime
les histoires que je me construis dans ma tête. Il paraît que ça disparaitrait
un peu. Ça me fait peur. Je bouillonne d’idées. Et je sacrifierais ça pour
avoir la paix. La paix du regard découragé qui se pose sur mon bureau… La paix
du soupire agacé de ma patronne quand je lui dis que j’ai besoin de temps…
Alors les
petites brochures resteront sur mon bureau. J’y poserai les yeux jusqu’à ce que
j’en souffre plus que ça…
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