Scène
classique pour un mardi soir, je suis appuyée aux casiers et je répète la même
ritournelle comme un robot en regardant mon téléphone :
- - Tes bottes! Mets tes bottes!
Je pourrais
me transformer en coach motivateur, ça ne fonctionne pas. Ça la stimule trop.
Je dois l’ignorer en répétant chacune des étapes. Une fois habillée, je la
félicite comme on appellerait un bon toutou!
- Bravo mon amour! Je suis fière de
toi!
C’est
seulement là que je sors mes câlins et mon amour maternel gluant!
Mais ce
mardi-là, nous ne sommes pas seules! Antoine arrive en trombe en criant BATMAN!
Sa mère le suit quelques secondes après l’air un peu exaspéré. Elle se rend au
casier de son fils et inspecte son contenu l’air découragé pendant que « Batman »
s’élance sur les genoux, les deux poings devant!
Elle lève
les yeux sur moi et m’observe. J’ai l’air de la pire mère en ville, les yeux
qui ne quittent pas l’écran de mon téléphone, qui répète « Ton manteau…
ton manteau… dans l’autre sens… » En plus, avec ses difficultés motrices,
elle a l’air de se battre avec une pieuvre géante et moi, je ne sourcille pas.
Antoine ne
réagit pas à la 14ième demande de sa mère. Elle choisit de m’imiter
et de venir s’appuyer sur les casiers d’en face.
- C’est votre plus vieille?
- Non! Ma 3e.
En montrant
mon téléphone, je lui signifie qu’on apprend. On discute un peu de l’enseignante
qui revient de congé de maladie, de l’activité qu’ils feront jeudi…
Et son
téléphone s’énerve. Je vois le mot « Maman » clignoter sur l’écran.
- Pardon, c’est ma mère, je dois la
prendre, on ne s’est pas parlé aujourd’hui.
Elle s’éloigne
de la discussion animée de nos chérubins pour faire les cent pas plus loin.
Leur
discussion semble douce, empreinte de quotidien soyeux. Je la vois sourire à
plusieurs reprises. Je n’entends rien, mais je pourrais réciter le dialogue
dans ma tête.
- …tu lui diras à Diane que ça serait
l’fun pour une fois qu’elle vienne ici plutôt que tu te déplaces à Montréal.
- …
- As-tu pris ton médicament?
- …
- Je le sais que tu n’es pas sénile,
mais ça m’inquiète toujours.
La mère raccroche, Romy boude parce que je
refuse de prendre sa boite à lunch jusqu’à la voiture. Antoine, qui était
presque parfaitement habillé a fait l’exercice à l’envers dans le corridor
transversal. Sa mère s’excuse et galope pour récupérer son fils qui discute du
dernier collage au mur avec d’autres petits qui vont quitter.
- Je suis désolée d’avoir mis fin à
notre conversation. On se parle 10 fois par jour, je commençais à m’inquiéter.
« On
se parle 10 fois par jour… »
* * *
Je ne
papotais pas « 10 fois par jour » avec ma mère. On contraire, je
devais mettre notre appel hebdomadaire à l’agenda et m’y soumettre sous peine
de « boudin » maternel.
- Non! Non! Je comprends que vous
aviez un brunch… Mmmm…
Je sentais
son hochement de tête réprobateur à distance.
Je n’avais
pas ce qu’on peut appeler « une belle relation » avec ma mère. Personne
de maltraité, pas de gros drame, jamais été battue (ce qu’elle me rappelait
lorsque je lui faisais des reproches). Juste une espèce de distance infinie
entre deux étoiles. Le pôle nord et le pôle sud… Communication magnétique qui n’existe
que parce qu’ils se repoussent.
À 40 ans,
je n’ai pas de souvenirs romantique de ma mère. J’ai quelques photos qui
témoignent d’une affection réelle, mais c’est tout. Pas de souvenir de séances
de câlins ou de chatouillage intense. Je me souviens que le dimanche soir, elle
me brossait les cheveux. C’était pas mal le plus près que je pouvais me
retrouver d’elle. Peut-être qu’elle m’a embrassé, peut-être qu’elle m’a enduit
d’amour gluant un jour. Mais je ne m’en souviens pas. Mais je ne me souviens
pas d’en avoir souffert. Je ne me souviens pas d’avoir quémander une dernière
caresse ou un 1000ième bisous
avant de refuser qu’elle quitte ma chambre avant de dormir.
Je me
souviens des colères qui finissaient par être ridicules. Elle boudait, claquait
les portes. Je me souviens des conversations supplices où elle tentait de me
faire comprendre « le bon sens » à coup de culpabilité.
On n’avait
pas une belle relation. Elle ne faisait plus parti de mon quotidien depuis bien
longtemps. Sa disparition n’a pas changé ma vie au quotidien. Mais j’ai compris
une chose il n’y a pas longtemps : C’est que TOUTES ces maudites
conversations qu’elle m’imposait le matin à 5h00 sur le divan du salon, cette
torture mentale (proche de la séquestration) c’était parce qu’elle m’aimait et
s’inquiétait pour moi. Dans toute sa maladresse, elle ne voulait que mon bien.
C’est
pourquoi, qu’en ce jour de la fête des mères, je pleure son absence si
douloureusement. Même si je ne serais peut-être pas allée bruncher avec elle.
Même si je ne lui aurais sans doute pas envoyé de fleurs. Aujourd’hui, pour
moi, ce n’est qu’une moitié de fête des mères…
* * *
Antoine se
laisse faire docilement. Sa maman, à genou au centre du corridor, lui enfonce
pour une 2e fois sa casquette sur la tête. Elle lui remâche pour la
186e fois cette année qu’il faudrait qu’il comprenne qu’il est
capable de s’habiller seul. Antoine parcourt les murs surchargés de bricolage,
le doigt dans la bouche.
Romy essaie
d’échapper à mes dernières consignes en poussant péniblement la porte vers la
sortie.
Dans la
voiture, elle me lance : « La maman d’Antoine, elle l’habille ! Elle
porte sa boîte à lunch! »
Même si tu
es jalouse des relations des autres avec leur mère, y’a personne qui t’aime
plus que moi…Même si j’apporte pas ta funking boite à lunch…
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